Les 4 âmes du coyote, un retour aux origines du monde, tout en animation et en beauté

Les 4 âmes du coyote, un retour aux origines du monde, tout en animation et en beauté

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(© Eurozoom)

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Par Arthur Cios

Publié le

Prix du jury au dernier Festival international du film d’animation d’Annecy, Les 4 âmes du coyote est un mariage entre culture populaire, narration mystique et propos écologiste.

Un serpent géant, d’un noir profond, se faufile au milieu des contrées désertiques américaines avant de se transformer en un interminable pipeline. Voilà la première image fascinante du film Les 4 âmes du coyote, réalisé par le Hongrois Áron Gauder. Le film nous raconte l’histoire d’un groupe d’activistes écologistes amérindiens, opposés à la construction d’un oléoduc qui détruirait une montagne sacrée pour leur communauté. Le soir venu, rassemblés autour d’un feu de camp, ces mêmes activistes se replongent dans les grands mythes qui ont façonné leur spiritualité. Un ancien de la tribu leur fait un récit dantesque qui débute à la création de toute vie par un esprit supérieur et relate les différentes étapes d’une évolution mystique et fantastique.

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Il va sans dire qu’une histoire pareille ne pourrait que difficilement s’épanouir en dehors du giron de l’animation, qui permet de conjuguer harmonieusement différents régimes d’images. Si le long-métrage s’ouvre sur une prémisse contemporaine et réaliste, il dévie donc très vite vers un fantasme à la portée universelle, propice à l’éclosion de visions poétiques très inspirées qui brouillent nos repères et échappent bien souvent à une description écrite.

En témoigne cette séquence où le vieux créateur trace un trait sur l’horizon, comme si le ciel était sa toile, avant qu’un plan zénithal ne révèle la forme d’une tortue, née de son dessin, sur laquelle émergera bientôt un continent tout entier.

Un projet multiculturel

Le récit suivra dès lors la trame d’un conte, initiatique et contemplatif, où se marient diverses considérations religieuses, historiques et spirituelles. Le récit créationniste principal, caractéristique de la culture amérindienne (notamment via le rapport intime à la Nature), se heurte au récit biblique d’Adam et Eve (la binarité homme-femme, le pommier, le serpent… tous ces motifs sont clairement affichés par le film), avant de revenir progressivement au réel sordide de l’Histoire : le génocide des natifs perpétré au XIXe siècle, pendant la conquête de l’Ouest.

Protéiforme, le film l’est aussi dans son esthétique. Áron Gauder assume un trait à l’ancienne, inspiré selon ses dires par les peintures à l’aquarelle de Karl Bodmer et celles de George Catlin, deux artistes renommés pour avoir illustré la vie des Amérindiens. Le film se libère des conventions formelles du cinéma d’animation d’aujourd’hui (à commencer par l’utilisation de l’infographie numérique) afin de proposer une aventure visuellement originale, une illustration rafraîchissante des grands mythes universels que nous connaissons tous. Le sentiment de profondeur et de relief induit par le film est tout bonnement spectaculaire.

S’il revendique une certaine candeur et une dramaturgie archétypale, Les 4 âmes du coyote a pourtant un ancrage politique solide, en ramenant sur le devant de la scène une tragédie fondatrice : celle d’une culture populaire, résolument pacifiste, soucieuse de maintenir le plus possible l’harmonie entre le peuple et la Nature, face à laquelle se dresse une contre-culture réactionnaire, cupide et conquérante. Un drame qui subsiste donc au-delà des âges, puisqu’il en est encore question aujourd’hui (la construction du pipeline par trois businessmen insensibles à tout autre sujet que leur profit).

Personnage clé du film, le coyote qui lui donne son titre est sans doute l’aspect le plus intéressant du scénario : seule créature à ne pas être née des mains du vieux créateur, le coyote est un personnage insaisissable, complexe et contradictoire. C’est par esprit de rébellion qu’il façonne l’Humain, qui hérite à son tour de sa complexité et de son machiavélisme. C’est parce qu’il est indécis, toujours tiraillé entre sa volonté d’exister au sein d’un tout et la primauté de ses besoins personnels, que l’Humain causera sans jamais le pressentir la rupture de l’équilibre, précipitant tout un monde vers le chaos.

Si le film s’avère quelque peu schématique, la clarté de son symbolisme en fait sans aucun doute un long-métrage émotionnellement puissant, notamment pour un public jeune. Les 4 âmes du coyote nous invite à repenser notre place dans l’univers avec humilité, et à tendre la main vers l’autre pour chercher une nouvelle stabilité.

Les 4 âmes du coyote, en salle ce mercredi 15 mai.