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The Outsider, un polar noir et envoûtant à la sauce True Detective

The Outsider, un polar noir et envoûtant à la sauce True Detective

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Ⓒ HBO

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Par Adrien Delage

Publié le

La dernière adaptation de Stephen King, signée HBO, est un slow burner captivant et superbement interprété.

Depuis 1976, et la sortie du Carrie au bal du diable de Brian De Palma, Stephen King est devenu l’un des romanciers les plus adaptés sur le grand comme sur le petit écran. Les dernières productions en date n’ont pas franchement été mémorables : Under the Dome, The Mist ou encore Castle Rock n’ont pas trouvé leur public ou ont été carrément annulées après une seule saison. Cette fois, pour adapter l’une des plus récentes publications du maître de l’horreur, L’Outsider (paru en 2019 aux éditions Albin Michel chez nous), Media Rights Capital a trouvé un partenaire prestigieux, HBO.

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Depuis les prémices du projet, le scénariste et producteur Richard Price (The Night Of, The Deuce) supervise cette adaptation. Fin 2018, deux stars étaient recrutées pour produire la mini-série : Ben Mendelsohn et Jason Bateman, qui joueront finalement les rôles principaux. Le second réalisera même les deux premiers épisodes, comme il l’avait fait sur Ozark et Arrested Development. Avec cette équipe de choc, tout portait à croire que cette adaptation de Stephen King serait cette fois réussie. Et après visionnage des deux premiers épisodes, les talents ont vraisemblablement transformé leur essai.

The Outsider se déroule dans une petite ville tranquille de l’Oklahoma. Ses paysages forestiers et paisibles sont subitement tâchés de sang lorsque le corps d’un enfant est retrouvé gisant dans une rivière. Le cadavre, violé et éviscéré, réveille des traumatismes profonds chez Ralph Anderson (Mendelsohn), le détective en charge de l’enquête, qui a perdu son fils quelques années auparavant. Très vite, les soupçons se tournent vers Terry Maitland (Bateman), un père de famille et coach de l’équipe de base-ball locale, pointé du doigt par les témoignages et ses actions louches quelques heures avant le meurtre du petit garçon.

Time is a flat circle

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Le pilote de The Outsider débute comme un polar noir des plus classiques. On y suit les premiers pas de Ralph et de son équipe d’enquêteurs, qui mènent jusqu’à l’arrestation puis l’interrogatoire de Terry. Mais rapidement, la patte de Stephen King refait surface et apporte une toute autre dimension au récit : des familles en détresse, un flic complètement obsédé par la quête de vérité, un décor propice aux faux-semblants et d’étranges apparitions qui font écho à la part fantastique qui s’insère petit à petit dans le quotidien de nos héros.

Car oui, The Outsider est un slow burner appliqué et contemplatif, qui prend son temps pour épaissir le mystère autour de la mort de sa victime, puis pour scruter les conséquences bouleversantes sur son entourage et les personnes impliquées dans l’enquête. Et c’est tant mieux : enfin une adaptation de Stephen King qui respecte son style, avec un souci du réalisme, la surprise de scènes excessivement violentes et l’irruption de l’horreur comme un facteur à twists très efficace.

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Une atmosphère poisseuse, un duo de flics en mésentente, des personnages torturés qui citent Shakespeare ou Homère, un meurtre sordide et énigmatique… Forcément, on pense d’emblée à la première saison de True Detective. Dans la mise en scène de Jason Bateman, il y a aussi une sensation de monde en décomposition inspirée du travail de Cary Fukunaga sur la série d’anthologie.

L’Amérique pastorale de The Outsider est à l’abandon, avec ses diners, ses bars décrépis et l’ultraconservatisme de ses habitants. Elle est à l’image de son héros Ralph, détective fatigué, éprouvé par la vie et le deuil de son fils, où le psaume fataliste “souviens-toi que tu es né poussière, et tu redeviendras poussière” s’affiche sur son front. Nul doute que l’esprit nihiliste de Rust Cohle approuverait cette philosophie nietzschéenne.

Un récit glaçant et politique

Au premier abord, la lenteur narrative issue d’un choix délibéré du showrunner, la froideur des personnages et de cet univers voués au déclin pourraient rebuter. Mais le talent de son casting impose un rythme envoûtant à The Outsider. Ben Mendelsohn, sur le point de craquer nerveusement à chacune de ses apparitions, est impeccable de retenue.

Face à lui, Jason Bateman confirme sa très grande forme dans les rôles dramatiques depuis le personnage de Marty Byrde. On soulignera également les (trop) rares apparitions de Mare Winningham en épouse compatissante et supportrice, loin des clichés féminins de l’œuvre de Stephen King, qui traite régulièrement les femmes sous un aspect hystérique voire carrément psychopathe (Carrie, Annie Wilkes, Mrs. Carmody…).

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La justesse du casting participe à la grande réussite de ce récit finalement très contemporain. Richard Price et son équipe scrute ici les aspects les plus sombres de l’humanité. Dès l’épisode 2, les morts glaçantes d’un certain groupe de personnages nous ont hérissé les poils. Avec une volonté d’être fidèle à l’œuvre originale, le showrunner profite de ces séquences insoutenables pour y insuffler la présence surnaturelle de la série. Celle-ci est représentée sous la forme de l’anonymat, un homme a priori défiguré mais dont le visage est dissimulé sous une capuche, qui pourrait donc être n’importe qui (voire n’importe quoi d’inhumain).

Dans l’Amérique d’aujourd’hui, cette menace à la fois invisible mais omniprésente fait écho au climat anxiogène du pays : nous sommes dans un État sudiste qui reste un des fiefs républicains de Donald Trump, où la xénophobie et le racisme sont encore très ancrés dans la société. Au même titre que Damon Lindelof et son Watchmen se déroulant à Tulsa, quoique de manière moins frontale, Richard Price dissèque ici les peurs profondes des Américains liées à la peur de l’inconnu. Un thème qu’il avait d’ailleurs déjà exploré avec Naz, le personnage incarné par Riz Ahmed dans son chef d’œuvre The Night Of.

Après Show Me a Hero, Sharp Objects ou encore Chernobyl, HBO montre avec The Outsider qu’elle est toujours la patronne des mini-séries de prestige. Elle offre à ses spectateurs une adaptation très respectueuse de l’œuvre de Stephen King, qui alterne entre polar noir, drame social et thriller horrifique avec virtuosité. Après une année 2019 de haut vol, la chaîne câblée commence 2020 sous les meilleurs auspices. 

En France, la première saison de The Outsider est diffusée tous les lundis en US+24 sur OCS.