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Succession : le clan Roy est à couteaux tirés dans une saison 3 magistrale

Succession : le clan Roy est à couteaux tirés dans une saison 3 magistrale

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Par Delphine Rivet

Publié le

On est rapidement à court de superlatifs quand on parle de Succession, et cette saison 3 n’échappe pas à la règle.

Après deux ans d’attente insoutenable, les Roy ont repris du service. Plus vicieuse que jamais, la famille la plus dysfonctionnelle du petit écran a vite retrouvé ses vieilles habitudes, mais certains de ses membres ont aussi fendu la carapace, pour notre plus grand plaisir. Tout n’était évidemment pas parfait dans le monde sans pitié de Succession cette saison, mais la série touche au génie dans un épisode final aussi dévastateur que jouissif. Et, malgré sa cruauté, et les tortures psychologiques que s’infligent ses personnages, elle n’a pas oublié d’être drôle. On doit alors se rendre à l’évidence : on se fait toujours cueillir, avec une certaine délectation malsaine, par les Roy. Attention, spoilers.

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On l’a beaucoup décrite comme une œuvre shakespearienne et sa réputation n’est certainement pas usurpée. Elle emprunte même des codes de la dramaturgie aux tragédies grecques ou aux contes de l’antiquité romaine, jusqu’à citer ces derniers, comme lorsque Tom raconte à Greg l’histoire de Sporus, un jeune esclave dont s’était épris Néron. Le tyran a poussé sa femme dans les escaliers pour la tuer, a ensuite fait castrer Sporus et l’a épousé. Le symbolisme de cette histoire ne nous sautera au visage que dans la toute fin du dernier épisode. Tom a émasculé le jeune Greg, par ses incessantes et cruelles manipulations, pour en faire un allié docile, et assassine métaphoriquement Shiv qui ne l’aime pas autant qu’il le souhaite.

La seule femme de la fratrie Roy paye cher son manque d’affection (ou de démonstration d’affection). Ses frères, Kendall et Roman, vont aussi se prendre un méchant retour de bâton dès qu’ils baissent leur garde. Ils mettront bien longtemps à comprendre qu’il faut “tuer le père”, mais cette épiphanie tout œdipienne arrivera trop tard. Le patriarche n’a que faire de l’amour, comme il le reprochera à Roman dans une crise de colère qui nous a filé des terreurs nocturnes plusieurs heures après.

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Des palpitations, cette saison 3 nous en a donné quelques-unes. La série continue de distribuer les uppercuts comme on file des bonbons à des enfants trop impatients. Même si, il faut bien le reconnaître, la plupart des manipulations financières, des imbroglios légaux et du jargon très orienté business nous passent bien au-dessus de la tête, et peuvent rendre certaines séquences particulièrement ennuyeuses à regarder. Mais la force de Succession, c’est de nous permettre une grille de lecture de sa charge émotionnelle plutôt que de sa technicité.

Elle excelle si bien dans cet exercice que l’on comprend systématiquement les enjeux de leurs manigances en observant les réactions des personnages. Tout ce que l’on retient, c’est “oh, Logan a senti le vent changer et il a donné le coup fatal en premier” ou encore “Shiv aura beau placer habilement ses pions, elle sera toujours freinée dans son ascension par son besoin maladif d’approbation de la part de son père”. L’écriture de ses personnages, leur laideur intérieure, leur morale chancelante, leurs doutes, est une fois de plus un travail d’orfèvre.

On peut toutefois reprocher à cette saison 3 d’user de ficelles parfois un peu trop voyantes. Les petites frayeurs autour de la santé de Logan et les signes de démence sont autant de scènes “prétextes” qui viennent crisper les négociations ou les meetings décisifs. C’est pourtant l’une des premières choses que l’on apprend sur le king Roy au tout début de la série, lorsqu’il se réveille en pleine nuit, complètement désorienté, et va pisser dans un coin de son luxueux appartement. Sa maladie n’a, pour l’instant, aucune autre conséquence que de faire serrer les fesses à son staff et à sa progéniture.

Autre petite épine dans le flanc de cette saison 3 pourtant magistrale, l’utilisation de ses guest stars. Le premier, que l’on a bien vite oublié, est Adrien Brody, et le second, qui a un peu plus d’importance dans l’intrigue, c’est Alexander Skarsgård en Elon Musk scandinave. Les deux acteurs sont traités comme des placements produits : posés là, de façon un peu forcée, pour offrir à la série une énième négociation tendue au sommet. Leurs personnages respectifs ne sont pourtant, à l’arrivée, guère plus que des distractions sans grande saveur, adoptant les mimiques de milliardaires ayant trop flirté avec l’ennui abyssal de leurs existences.

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Alors certes, cette saison 3 se repose un peu sur ses acquis – la hype Succession a bien eu le temps d’enfler en deux ans d’absence de nos écrans – et elle a tendance à répéter la recette de son succès, mais elle sait encore délivrer quelques pépites. Ce sont souvent des scènes, plus que des épisodes entiers, qui nous rappellent à quel point elle est une grande série. Ce savant mélange de drama, de satire et d’humour grinçant a enfanté de merveilleux moments de télévision. L’envoi accidentel de dickpic de Roman à son père en pleine réunion, ou la scène entre Shiv et sa mère qui explique une bonne partie des dysfonctionnements au sein de la fratrie, sont autant de preuves que Succession est indétrônable.

On pense aussi à ce moment, dans l’épisode 3, où Kendall est ébranlé par un tweet, dont on connaîtra plus tard le contenu, alors qu’il s’apprêtait à monter sur scène comme invité d’un show humoristique. L’animatrice, incarnée par la comédienne Ziwa, l’aurait probablement crucifié sur place, mais le désespoir qui l’étreint à ce moment-là, lorsqu’il comprend qu’il est cuit, est poignant. Il longe un couloir, se trouve un recoin sombre dans un local technique, et s’y recroqueville, au sol, à l’abri des regards. Jeremy Strong, pour cette seule séquence, mérite tous les Awards.

Mais, et cela fait consensus, rien ne peut égaler le final dantesque qu’elle nous a offert. Même la mise en scène semblait s’inspirer de peintures classiques, avec des cadrages grandioses, dans les décors italiens forcément en accord avec cette iconographie romanesque. Les enfants Roy sont devenus des suppliciés, pendant que Tom et Greg, les éternelles variables d’ajustement sur lesquelles tout le monde s’essuie les pieds, ont fomenté une trahison digne du Roi Lear. Mais si cette ode aux bâtards avait encore plus de saveur, c’est parce que, sans doute pour la première fois, Shiv, Roman et Kendall, plutôt que de se liguer contre un ennemi commun, admettaient enfin qu’ils et elle partageaient la même blessure. La saison 4 promet d’être sanglante. On a hâte.

Les trois saisons de Succession sont disponibles sur OCS.