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La Roue du temps : un avant-goût épique et prometteur du retour en Terre du Milieu

La Roue du temps : un avant-goût épique et prometteur du retour en Terre du Milieu

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Par Adrien Delage

Publié le

L’adaptation ambitieuse des romans de Robert Jordan pose des bases solides et prometteuses avec ses trois premiers épisodes.

Dans les prochaines années, il faudra désormais compter sur Amazon et sa plateforme Prime Vidéo pour concurrencer HBO et Netflix sur the next big thing, la prochaine série blockbuster et virale capable de prendre la relève de Game of Thrones. Le géant américain a déjà montré ses ambitions avec l’adaptation à venir de l’univers de J. R. R. Tolkien, pour laquelle l’entreprise de Jeff Bezos a dû débourser une somme pharaonique. Mais en attendant de revenir en Terre du Milieu, Amazon nous propose en guise d’apéritif l’adaptation de La Roue du temps (The Wheel of Time en VO), une autre franchise majeure de la fantasy, écrite par Robert Jordan entre 1990 et 2013 mais moins populaire dans nos contrées que les deux poids lourds cités plus haut.

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Le récit de l’auteur américain nous transporte dans un univers merveilleux où les femmes tiennent un rôle prépondérant. Certaines d’entre elles, surnommées Aes Sedai, sont capables de maîtriser la magie ou channeling, en puisant leur force dans les éléments et les êtres vivants. Dans le monde de La Roue du temps, elles sont à la fois craintes et respectées et pourchassent les hommes qui développent la moindre once de magie en eux. En réalité, elles repoussent la prophétie du Dragon, une légende d’antan synonyme de fin du monde.

Selon le mythe eschatologique, le Dragon est un être magique surpuissant capable de se réincarner dans le corps d’un humain. Le Ténébreux, une entité maléfique qui possède une armée de forces démoniaques, cherche à s’en emparer pour le contrôler. Plusieurs Aes Sedai dont Moiraine, une magicienne aussi puissante que mystérieuse, tente de le stopper en parvenant à retrouver l’élu·e avant lui. Cette dernière va donc réunir une communauté de cinq individus qui sont potentiellement la réincarnation du Dragon, capable de sauver le monde ou de le plonger à tout jamais dans l’obscurité.

Des vibes bienvenues du Seigneur des anneaux

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L’adaptation d’un univers de fantasy est toujours complexe pour les scénaristes. Il faut trouver un savant mélange entre trop et pas assez d’exposition, tout en donnant aux spectateurs l’envie de suivre les héros pendant leur voyage initiatique. Il est facile de tomber dans une confusion complexe d’entrée de jeu, façon The Witcher et ses voyages dans le temps imprécis ou la galerie de personnages (trop) foisonnante de Game of Thrones. Des éléments qui peuvent faire peur au public, et que La Roue du temps a judicieusement évités dans son introduction.

En effet, dès la fin du premier épisode, la série réunit sa communauté sans chercher à multiplier les points de vue et les voyages dans le monde créé par Robert Jordan. On suit principalement le récit à travers les yeux de Moiraine et ses cinq élus potentiels. On est donc très loin des zigzags complexes et espacés de Game of Thrones, qui pouvait changer de région voire de continent à chaque scène. Ainsi, La Roue du temps se révèle franchement très accessible a contrario de certaines œuvres récentes réputées inadaptables, comme le cycle de Fondation d’Isaac Asimov sur Apple TV+, et son histoire nébuleuse et exigeante qui se déroule sur plusieurs siècles.

En revanche, La Roue du temps rencontre quelques difficultés pour nous mettre en empathie avec ses personnages. Trois épisodes, c’est peu pour juger sur le long terme, mais Nynaeve, Perrin, Rand et les autres élus nous semblent assez creux pour le moment. La série a choisi de mettre en avant Moiraine, un choix plutôt logique quand on connaît le charisme et le talent de Rosamund Pike. Les scénaristes cultivent patiemment le mystère de cette héroïne au passé trouble, archétype d’une leadeuse prête à tout sacrifier pour le bien commun. Les valeurs de ces personnages, et certains tropes de la série, ne sont pas sans rappeler l’univers merveilleux de Tolkien et du Seigneur des anneaux.

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Il est toujours plutôt facile de comparer les œuvres de fantasy entre elles, surtout quand on prend un modèle aussi emblématique que l’inventeur des Hobbits, mais force est de constater que LSDA et La Roue du temps partagent des éléments communs. Il y a d’abord l’échelle visuelle de la série, spectaculaire et sublime : les paysages grandioses de la Slovénie, où a été tournée la série en extérieur, rivalisent presque avec la diversité inégalée de la Nouvelle-Zélande. L’esthétique et la photographie sont sublimes, presque trop parfaites, si bien qu’on regrette parfois le côté un peu trop lisse du rendu en image. Par exemple, le flou visuel un peu ringard de The Witcher sur les bords du cadre apportait finalement du cachet à l’ensemble et donnait vie à ce monde hostile.

En revanche, La Roue du temps transmet le souffle épique qu’on attend tous devant une série de fantasy. Les effets spéciaux sont plutôt convaincants et donnent un rendu spectaculaire pendant les batailles. Amazon affirme ses ambitions avec une production value solide, qui nous met en confiance pour sa version du Seigneur des anneaux. On a parfois l’impression d’assister à un avant-goût du retour en Terre du Milieu : les plans de Moiraine sur son cheval évoquent Gandalf, les monstrueux Trollocs rappellent les Uruk-hai de Saroumane, un mystérieux cavalier encapuchonné dans une cape noire nous ramène forcément aux Nazgûl, et même certains noms de lieux comme la tour Blanche et les montagnes de la Brume donnent l’impression de se replonger dans l’imaginaire de Tolkien.

Bref, l’influence de l’auteur britannique se ressent dans le récit de Robert Jordan, et l’adaptation de ses romans a respecté ces inspirations évidentes. On ne va pas se mentir, ce retour à l’heroic fantasy plus féérique et moins violente (même si la série est plus sanglante que la trilogie de Peter Jackson) n’est pas désagréable et change des productions souvent gores de HBO ou Netflix. Là encore, La Roue du temps se montre bien plus accessible sans tomber dans une forme d’aseptisation malvenue. En réalité, la série pourrait même devenir l’adaptation de fantasy la plus moderne et progressiste parmi ses concurrentes.

La présence et la puissance données aux femmes dans les romans de Robert Jordan dénotent des codes traditionnels très virils et masculins de la fantasy. Sans mauvais jeu de mots, on apprend dès le début de la série que les Aes Sedai craignent le retour du mal(e), alors que Moiraine explique dans son pitch d’introduction que le Dragon, soit un homme, a failli détruire le monde par le passé. Reste à voir si la série assumera ce discours féministe dans le reste de la saison et si la société matriarcale qui s’est développée dans l’univers de La Roue du temps sera capable de vaincre le Ténébreux et son armée de Trollocs.

Les trois premiers épisodes de La Roue du temps sont disponibles sur Amazon Prime Video. Les sept autres arriveront sur un rythme hebdomadaire à partir de la semaine prochaine sur la plateforme.