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Histoire de Lisey, une adaptation macabre et onirique de Stephen King

Histoire de Lisey, une adaptation macabre et onirique de Stephen King

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Par Adrien Delage

Publié le

Julianne Moore et Clive Owen donnent vie à cette histoire d’amour tragique, aussi bouleversante que, par moments, ésotérique.

Pandémie ou non, une année sérielle ne serait pas complète sans une énième adaptation de Stephen King. Au fur et à mesure des décennies, le petit écran nous a délivré des œuvres prestigieuses (The Outsider, Mr. Mercedes, 11/22/63) comme complètement anecdotiques (Castle Rock, The Stand) voire carrément nanardesques (The Mist, Haven) inspirées par le maître du fantastique. En 2021, c’est au tour des studios Apple de tenter le coup avec une adaptation d’Histoire de Lisey, un roman fantastique paru en 2006, salué par la critique et le public et notamment victorieux du prestigieux prix Bram-Stoker.

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Cette histoire est très personnelle pour Stephen King puisqu’elle comporte une partie autobiographique et rend hommage à sa femme Tabitha King. L’idée lui est venue lors d’un séjour à l’hôpital après une grave pneumonie, où il a imaginé sa mort et la pression que subirait son épouse s’il venait à succomber de sa maladie. L’auteur américain considère d’ailleurs ce roman comme l’un de ses meilleurs jamais écrits, justifiant ainsi sa décision de scénariser lui-même l’adaptation, une première sur le petit écran depuis Under the Dome. Il retrouve également son récent collaborateur J. J. Abrams à la production, avec lequel il avait cocréé l’anthologie Castle Rock aujourd’hui annulée. 

Histoire de Lisey explore la tristesse et la détresse d’une veuve démunie après la mort de son mari Scott Landon, un écrivain très populaire abattu au cours d’une inauguration associative. Lisey vit désormais seule dans une maison immense, hantée par ses souvenirs et la pression des fans et des maisons d’édition, qui exigent d’elle la publication des manuscrits incomplets de son époux. Mais Lisey refuse de céder et va bientôt tomber malgré elle dans un jeu de piste dangereux, où elle va se balader dans ses souvenirs et les univers inquiétants imaginés par Scott, la menant tout droit dans une expérience troublante aux frontières du réel.

Le retour de l’horreur contemplative

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Les séries de Stephen King, comme ses récits littéraires, ont en commun cette approche du fantastique dans une situation banale. L’horreur et les créatures créées dans l’imaginaire de l’écrivain s’immiscent peu à peu dans la vie de ses héros, jusqu’à les oppresser. Histoire de Lisey ne trahit pas le fil rouge de l’auteur en proposant à la fois un conte noir réaliste et fantasmagorique, qui puise dans le chagrin de Lisey pour en faire ressortir de véritables visions cauchemardesques. La série s’inscrit dans une atmosphère angoissante et inconfortable dès les premières minutes, mais avec une sorte de poésie macabre en toile de fond, qu’il n’est pas facile de pénétrer.

En effet, la narration sinueuse et très imagée du show la rend exigeante à regarder, un peu à la manière des univers oniriques de Legion de Noah Hawley et de Twin Peaks évidemment, la maestria de David Lynch. L’histoire de Lisey est décousue et parsemée de flash et de flash-back qui participent à l’angoisse globale du récit, mais aussi à nous perdre dans ses souvenirs et les mensonges de Scott. La série joue évidemment avec ces codes du faux-semblant, et il faut donc accepter de s’égarer dans ce labyrinthe pour mieux profiter du voyage dans l’intimité de Lisey. De ce point de vue là, l’adaptation de King s’ancre dans un regard féminin dit female gaze, en adoptant le point de vue d’un personnage féminin pour mieux faire profiter l’audience de son expérience (traumatisante, dans le cadre présenté).

Même si les adaptations de King ne manquent pas sur le petit écran, il faut reconnaître que cette proposition diffère des précédentes. Elle est originale dans son approche narrative, visuelle et esthétique si bien qu’on pourrait parler du fameux terme galvaudé de “série d’auteur”, puisqu’elle se montre clairement plus sibylline que Castle Rock, Mr. Mercedes ou la très réussie The Outsider de HBO. On le voit d’ailleurs dans la composition des plans et la mise en scène des personnages, toujours très contemplatives, si bien que les dialogues s’effacent au profit des expressions faciales et corporelles d’un cast parfois cabotin mais toujours très solide, dont la prestation bouleversante de Julianne Moore, à deux doigts de vous arracher une larme ou un cri de désespoir quand elle se déchaîne à l’écran.

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Comme souvent avec les séries d’Apple, Histoire de Lisey écope également d’une direction artistique et d’une mise en scène sublimes. Avec sa photographie crépusculaire et ses images subliminales, le show flirte avec une inspiration lynchienne. La caméra du réalisateur Pablo Larraín (Jackie) capte une situation oppressante et tragique, celle d’un monde en décomposition. Il pioche ainsi des idées du côté de True Detective, et plus particulièrement la première saison réalisée par Cary Joji Fukunaga, à travers un univers qui s’écroule et vient corrompre ses personnages. Ce monde, c’est évidemment celui de Lisey, accablée par le chagrin suite à la mort de son mari et des souvenirs qu’elle ressasse, qui viennent peu à peu la consumer et l’emprisonnent dans un passé tortueux dont elle ne peut plus réchapper.

On retrouve cette idée de monde qui court à la ruine dans la façon de filmer les corps. Une mise en scène organique et parfois dérangeante, dans le sens où la série multiplie les plans de mutilation. Scott, la sœur de Lisey et d’autres protagonistes souffrent d’un mal intérieur profond, qui semble se répandre comme une épidémie. Ce concept très “kingesque” pour le coup symbolise une volonté d’exorciser les démons intérieurs des personnages, tous condamnables de péchés originels. Ils en deviennent donc à la fois attachant et déchirants, et y perdent aussi un poil d’émotions dans cette contemplation macabre mais, d’une étrange manière, hypnotisante.

Histoire de Lisey veut créer un climax d’incompréhensions et de malaises en suivant le schéma narratif du slow burner. Il faut clairement s’accrocher pour en voir le bout, mais le voyage sombre et onirique proposé par Stephen King est franchement bluffant par moments. Après Big Little Lies et le chef-d’œuvre Sharp Objects de Marti Noxon, Histoire de Lisey s’inscrit dans un modernisme appréciable du décorticage de la psychologie humaine. Dans la veine des séries précédemment citées, elle participe à une introspection de la violence faite aux femmes dans la société contemporaine, avec ce personnage de Lisey à la fois vulnérable, complexe et pris au piège d’un amour passionnel. Le récit s’articule d’ailleurs autour d’un couple maudit, mais c’est bien “l’histoire de Lisey” que la série vient nous raconter. Reste à savoir si les affres de cet amour sont plus proches d’un souvenir apaisant que d’une souffrance latente, et que le pays des merveilles de Lisey n’est pas en train de se transformer en pays des cauchemars.

La mini-série Histoire de Lisey est diffusée sur Apple TV+ tous les vendredis, à raison d’un épisode par semaine.