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Heels, ou la version catcheuse et adulte des Frères Scott

Heels, ou la version catcheuse et adulte des Frères Scott

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Ⓒ Starz

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Par Adrien Delage

Publié le

Stephen Amell et Alexander Ludwig campent les deux frères catcheurs de ce drame familial classique mais parfois surprenant.

En janvier 2020, Stephen Amell a définitivement remisé au placard l’arc et le carquois du Green Arrow après huit années de service. La série de Greg Berlanti, initiatrice de son célèbre et prolifique Arrowverse au cours de la décennie passée, avait lancé toute une nouvelle génération de super-héros en collants sur le petit écran. L’acteur canadien, découvert dans Queer as Folk, incarnait un justicier froid et taiseux, bien loin des productions très colorées de l’écurie rivale Marvel. Mais Stephen Amell n’a pas pour autant quitté le monde des séries (et des costumes en latex), comme en témoigne son rôle de catcheur dans Heels.

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Cette création signée Michael Waldron (Loki, Rick and Morty) nous emmène dans une petite ville pastorale de Géorgie, aux États-Unis, animée par son championnat de catch très populaire. Depuis plusieurs décennies, la famille Spade règne en maîtresse sur le ring sous la coupe de Tom Spade, l’ancien dirigeant de la Duffy Wrestling League (DWL). Désormais, le circuit indépendant est entre les mains de ses deux fils, Jack et Ace, qui s’affrontent au quotidien pour assurer la succession de leur paternel. Entre les cordes, ils incarnent respectivement le “heel” et le “face”, deux antagonistes historiques dans le monde du catch, alors que le combat s’immisce même dans leur vie de famille, jusqu’à bouleverser leur relation fraternelle.

Un théâtre de cordes et de sueur

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Au premier regard, le concept de Heels n’est pas simple à exporter. Le catch reste une activité sportive et divertissante surtout populaire aux États-Unis, un peu comme si des auteurs français imaginaient une série sur la pétanque. On entre pourtant facilement dans ce monde de théâtre et d’illusions : contrairement à des combats de boxe ou de lutte, tout y est scénarisé pour éviter les blessures et s’assurer de plaire à la foule, toujours plus exigeante et à l’affût de roll-up spectaculaires. Même si les scènes de catch sont nombreuses dans le show, Heels se concentre surtout sur le drama qui anime les frangins Spade.

On retrouve dans la construction narrative une idée qui parcourait les tours de passe-passe des magiciens du Prestige, le film de Christopher Nolan. Jack et Ace incarnent un rôle, le gentil et le méchant, qui finit par déteindre sur leur propre personnalité. À force de rester dans leur partition, les deux frères ne parviennent plus à différencier qui du heel ou du face ils sont vraiment. Si le cadet, Ace, fait tout pour jouer les oiseaux de mauvais augure, violent, vulgaire et téméraire, il souhaite en réalité la reconnaissance de ses pairs. A contrario, Jack tient souvent le mauvais rôle hors du ring, prêt à gâcher l’avenir de son frangin pour le bien de la DWL.

Rapidement, on comprend que le tandem souffre d’un profond complexe d’Œdipe. Pas facile pour eux d’égaler la légende de leur père, mort dans un accident de voiture en leur laissant une pression et un héritage dont ils se doivent être à la hauteur, seule porte de sortie de la maussade et mélancolique Duffy. “The show must go on”, comme chantait Freddie Mercury au début des années 1990, quitte à sacrifier leur propre vie pour sauver la dignité de leur paternel, qui a sombré dans l’alcool à force d’échouer à percer dans une ligue plus importante. À la manière de Friday Night Lights et plus récemment Ted Lasso, Heels est avant tout un drame social voire familial plus qu’un drame sportif, clairement plus sombre que ses deux prédécesseurs dans sa tonalité.

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Le catch dont raffolent Jack, Ace et leurs fans est une forme de théâtre moderne. Les power moves remplacent les dialogues et autres monologues, mais c’est bien l’histoire qui est au centre du divertissement. “Keep the narrative”, se répète sans cesse Jack, qui a la responsabilité d’offrir chaque semaine une intrigue novatrice et suffisamment intense pour tenir le public en haleine. Car sa ligue souffre d’une crise économique grandissante, alors que la concurrence est de plus en plus rude, dont certains qui n’hésitent pas à provoquer de véritables incidents pour séduire un public en manque de sensations fortes.

Évidemment, au terme des deux premiers épisodes, on se doute que Jack et Ace risquent de suivre ce chemin pour le bien de leur carrière, de leur famille et de la ligue indépendante. La série joue sur cette ligne friable entre le bien et le mal, deux notions qui se confondent à cause de leurs rôles respectifs sur le ring. Stephen Amell et Alexander Ludwig (Björn dans Vikings) portent à eux deux cet affrontement dantesque malgré un accent sudiste douteux et un manque d’intensité dans certaines séquences émotives. Au-delà de leur relation dont la tension monte crescendo, le reste de l’histoire est efficace mais très classique sur la forme, bien que le côté méta d’un catcheur qui écrit ses propres histoires a quelque chose d’attachant et d’intéressant sur l’emprise de l’esprit sur le corps.

Contrairement à l’équilibre sentimental d’un This Is Us, Heels sombre parfois dans le mélodrame pompeux avec une interprétation inégale de la part du cast. Il est vrai que le sentiment d’être dans une version catcheuse des Frères Scott vingt ans plus tard nous saute aux yeux devant la pauvresse de certaines intrigues. On apprécie toutefois l’ambiance “prestige” que tentent de donner les créateurs à la série, qui nous faisait craindre un énième Spartacus de la part de Starz, habituée aux productions musclées et viriles. Avec un peu plus d’audace et d’originalité, Heels aurait pu questionner davantage le concept de masculinité et d’héritage paternel, en pleine refonte à notre époque.

En France, la première saison de Heels est diffusée en US+24 sur Starzplay.