Derby Girl : une comédie brouillonne et gentiment féministe

Derby Girl : une comédie brouillonne et gentiment féministe

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Par Marion Olité

Publié le

Une nouvelle série sur l'univers du derby, à découvrir sur France.tv Slash.

Sport de contact unique en son genre, car le seul à être davantage pratiqué par les femmes que par les hommes, le roller derby est ancré dans un imaginaire girl power. Depuis le début des années 2000, il a connu une montée en puissance liée à la troisième vague féministe, qui s’est traduite dans la pop culture par le succès du film Bliss, réalisé par Drew Barrymore en 2009, avec Ellen Page.  

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Dix ans plus tard, en pleine ère Me Too, la France se réveille à son tour avec la série Derby Girl, une comédie qui tire vers le pastiche. Elle met en scène une newbie, Lola Bouvier, star déchue du patinage artistique dont la carrière fut stoppée net après avoir fait la “Tonya Harding” (s’en être pris violemment à une rivale). Des années après le drama, la jeune femme aigrie au possible travaille dans un magasin de sport et s’ennuie ferme dans la ville grise de Mézières. Ses instincts de compétitrice vont se réveiller quand elle découvre, par hasard, l’existence du roller derby et de son championnat. En toute simplicité, elle décide alors de devenir “la plus grande championne de roller derby de tous les temps”.

Au cours des dix épisodes que compte cette première saison en forme de parcours initiatique, notre (anti)héroïne au verbe acéré et à l’égocentrisme sans faille va découvrir des valeurs insoupçonnées, en particulier celle de la sororité. Portée par un casting féminin attachant, composé d’une Chloé Jouannet mordante, de Sophie-Marie Larrouy dans le rôle de la bonne copine ou encore de Jisca Kalvanda, Salomé Dienis Meulien et Suzanne De Baecque, Derby Girl possède quelques atouts indéniables, à commencer par de bons dialogues qui confèrent à Lola un sens de la répartie imparable. Le personnage fonctionne comme une poupée Barbie cassée, une Britney Spears en plein pétage de plombs, sous la pression du patriarcat.

On espère que les personnages secondaires, un brin stéréotypés (la meilleure copine pas du tout sexy et rigolote, qui ne risque pas de faire de l’ombre à Lola, la weirdo qui veut jeter des sorts, une jeune femme d’origine asiatique tellement discrète qu’on oublie sa présence…), prendront davantage d’épaisseur dans une potentielle saison 2. Un peu comme la série GLOW, comédie inclusive sur le catch au féminin, a su le faire sur Netflix, débutant par le prisme de Ruth (Alison Brie) pour ouvrir son spectre et devenir au fil des saisons complètement chorale, les personnages à l’arrière plan se révélant tout aussi passionnants à suivre que son héroïne de départ. 

Comme GLOW, la série écrite par Charlotte Vecchiet et Nikola Lange (ce dernier est également à la réalisation des épisodes) aborde la dimension féministe de ce sport et met en avant une galerie de personnages aux corps divers. Le contraste est saisissant quand Lola retourne brièvement vers le monde corseté et sexiste du patinage artistique. Mais son message n’est pas toujours limpide. D’un côté, la série acte l’existence du système patriarcal et dénonce avec humour, entre autres, l’injonction à l’épilation, osant aussi parler des menstruations féminines, ce grand tabou. De l’autre, Lola tente d’accuser son manager de viol pour faire pression sur lui : une “blague” extrêmement problématique quand on connaît la rhétorique antiféministe sur le sujet, qui consiste à dire que les femmes mentent tout le temps. Le choix d’un ton parodique édulcore la puissance féministe que possède Derby Girl.

Si la série ne bénéficie pas des moyens d’une production Netflix (cela se voit par moments à l’écran), il est dommage qu’elle n’ait pas profité de sa liberté créative pour prendre davantage de risques : ses arcs narratifs s’avèrent extrêmement convenus. Lola, avec son style vénère et son irrésistible franglais, est plus intéressante que sa trajectoire, cousue de fil blanc. Et puis les trop nombreuses ellipses lors des matchs de derby ne permettent pas de vraiment saisir l’intensité et la beauté de ce sport, exploré en surface pour le moment. Ne parlons pas de l’inutile voix off et des personnages masculins dont les scènes, certes volontairement horribles, se révèlent inutiles et plus malaisantes que drôles.

Le besoin d’en rajouter quinze caisses, vu le style over the top de la série, fait aussi que les scénaristes se concentrent davantage sur les conflits et rivalités féminines (on retrouve un côté Grease avec les bandes rivales de femmes qui roulent des mécaniques) que sur l’essence du derby et ses valeurs badass et positives. On aurait voulu voir creuser davantage l’univers, les relations entres les personnages ou les codes vestimentaires, influencés par le punk et les films d’horreur. 

Malgré ses limites, Derby Girl a le mérite de braquer les projecteurs sur un sport méconnu en France, de mettre en scène des personnages féminins issus de la classe moyenne ou pauvre et possédant des backgrounds divers. Le terreau est là pour affiner l’écriture, creuser les storylines prometteuses et couper les éléments superflus. Allez, on vous dit à l’année prochaine les Cannibal Licornes ! 

La première saison de Derby Girl est disponible en intégralité sur FranceTV Slash