Brand New Cherry Flavor : des chats, des sorcières et Hollywood

Brand New Cherry Flavor : des chats, des sorcières et Hollywood

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Par Marion Olité

Publié le

Lancée au cœur du mois d’août, Brand New Cherry Flavor est la surprise estivale de Netflix aux accents lynchiens.

Depuis l’annulation de séries indies comme The OA ou Sense8, petits bijoux artistiques mais qui ne répondaient pas à une ligne éditoriale de plus en plus guidée par l’algorithme de Netflix, on n’attendait plus vraiment la plateforme sur le terrain edgy. Même des shows appréciés de la critique, comme le teen drama Sex Education ou la fiction d’aventure Lupin, possèdent tous les ingrédients d’une “série Netflix”. Ce n’est vraiment, mais alors vraiment pas le cas de l’ovni Brand New Cherry Flavor, qui semble tout droit sorti du cerveau de jeunes disciples de David Lynch.

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Nick Antosca (Channel Zero) et Lenore Zion (Ray Donovan) adaptent en fait ici le roman de Todd Grimson, Brand New Cherry Flavor: A Novel of the Occult, publié en 1996. On y suit la descente aux enfers de Lisa Nova (Rosa Salazar), une aspirante réalisatrice repérée par un producteur, Lou Burke, à la suite d’un court-métrage expérimental aussi brillant que dérangeant. Embauchée par son nouveau mentor pour réaliser son premier long (tiré de son court), Lisa déchante rapidement. Quand elle repousse les avances du producteur, ce dernier la dépossède de son film. La jeune femme n’a alors qu’une idée en tête : se venger du prédateur sexuel et récupérer son film. Ça tombe bien ! Lors d’une soirée mondaine, elle croise une certaine Boro (Catherine Keener), qui promet de l’aider à assouvir son besoin de vengeance. Pour l’accomplir, Lisa va devoir plonger dans le monde de l’occulte et elle n’en sortira pas indemne – ni elle ni ses proches.

Lynch vibes

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Évoquons tout de suite l’éléphant lynchien dans la pièce. Impossible de ne pas penser aux chefs-d’œuvre Twin Peaks et Mulholland Drive lors du visionnage de Brand New Cherry Flavor. L’épopée surnaturelle de Lisa Nova dans un Hollywood cauchemardesque, peuplé de créatures terrifiantes, étranges, fascinantes et de producteurs véreux fait écho à celle de l’aspirante actrice Betty Elms dans le film de David Lynch sorti en 2001, d’ailleurs conçu à l’origine pour être un pilote de série. BNCF raconte aussi la désillusion des innocentes, broyées par la machine hollywoodienne, vampirisées par les monstres.

Sur la forme aussi, on pense au cinéaste qui transforme nos rêves en cauchemars depuis les années 1980. La façon dont la série marche sur un rythme lent, tord et superpose ses plans dans tous les sens pour nous placer dans un état de confusion, le travail sur la lumière (avec une colorimétrie très marquée, dans des tons rouges et verts), l’importance accordée au son (ces scènes de bouffe gores, les os qui se brisent, l’ambiance musicale), le surgissement de l’étrange… mais aussi ces scènes de la vie familiale déréglées, notamment entre Lou et son fils zombifié, évoquent l’hystérie maîtrisée de Twin Peaks. Certains personnages ont des points communs avec ceux des protagonistes de l’univers lynchien, comme Lucy et son œil de pirate (clin d’œil à Nadine Hurley dans Twin Peaks ?) ou la star de cinéma Roy Hardaway (Jeff Ward) qui s’éprend de Lisa. Le personnage évoque celui du biker James Hurley, petit ami de Laura Palmer (puis de Donna Hayward) dans la série culte. Dans les deux cas, ce sont des boyfriends gentils, caricatures du beau gosse américain, fantasmes ennuyeux à Hollywood.

Une saveur particulièrement… gore

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Alors, Brand New Cherry Flavor possède-t-elle sa propre saveur ou n’est-elle qu’un hommage appuyé, voire une pâle copie des œuvres du maître de l’étrange à Hollywood ? Le verdict penche du côté du oui. Elle se distingue de son écrasant modèle en appuyant sur deux genres, l’humour et le gore, le tout agrémenté d’une grosse louche de surnaturel. Âmes sensibles s’abstenir, donc ! La mythologie complexe de la série inclut des vomissements de chatons pour notre (anti)héroïne, du cannibalisme et des recettes de sortilèges plus dégueus les unes que les autres. Le tout enrobé dans des dialogues délicieusement décalés, du genre : “Comment tu m’as trouvée ? J’ai léché un crapaud empoisonné.” De l’humour noir ou absurde, la série en a à revendre, et ça fait plaisir de voir qu’elle n’a pas peur du ridicule.

Elle met en scène un sacré bestiaire, souvent maltraité (les chats drainés, le jaguar devenu canapé, les vers, les insectes en tous genres…), mais aussi des plantes. À mesure que Lisa s’enfonce dans la magie noire avec Boro, son appartement se voit en effet envahi de végétaux. La jeune femme doit également gérer une entité horrifique qui rappelle les créatures terrifiantes de Channel Zero, l’autre série de Nick Antosca. Brand New Cherry Flavor flirte parfois avec le nanar haut de gamme (un oxymore). Elle est sauvée par les performances de ses acteurs, et surtout actrices, entre une Rosa Salazar habitée et une Catherine Keener étonnante et géniale en sorcière chill aux pratiques pourtant terrifiantes. Les seconds rôles, notamment Eric Lange et Manny Jacinto, sont au diapason.

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Au début de la série, on est forcément du côté de Lisa, puis on s’interroge : a-t-elle été trop loin ? Attire-t-elle la mort, comme le lui assène un Lou ayant tout perdu ? Après tout, elle a visiblement brisé son actrice Lucy (excellente Siena Werber) pour réaliser son court-métrage, Lucy’s Eye (un noir et blanc aux vibes très Psychose). Le dernier épisode a le bon goût de rappeler au public comment l’histoire a commencé. Dans l’un de leurs derniers face-à-face, Lou s’écroule aux genoux de Lisa et s’excuse d’avoir tenté de lui voler son film. “Qu’est-ce qui a changé ?”, demande-t-elle, sourde à ses excuses larmoyantes. “Dans la voiture, tu as retiré ma main de ta cuisse, je me suis senti minuscule”, avoue-t-il finalement. Lisa est alors prise d’un rire jaune.

Excepté ce moment, la série n’avait pas évoqué ces deux scènes où Lou l’agresse sexuellement (en lui touchant la cuisse d’abord, puis une autre fois en l’embrassant de force – à chaque fois, elle repousse ses “avances”), mais au fond, elle ne parle que de ça. Lisa doit livrer une bataille qui brise son corps plus d’une fois (la série contient notamment une scène de passage à tabac éprouvante à regarder), où elle doit regarder au fond de son âme et même tuer (en légitime défense). Pourquoi ? Pour avoir le droit de réaliser son film à Hollywood, miroir grossissant d’une société patriarcale qui refuse obstinément d’ouvrir les yeux sur la façon dont elle traite les femmes. Alors, il faut des sorcières comme Boro et des warriors comme Lisa pour nous raconter leurs histoires.

Les huit épisodes de Brand New Cherry Flavor sont disponibles sur Netflix.