AccueilPop culture

Il faut qu’on parle du traitement réservé à Nairobi dans La Casa de Papel

Il faut qu’on parle du traitement réservé à Nairobi dans La Casa de Papel

Image :

©Netflix

avatar

Par Marion Olité

Publié le

Nairobi méritait mieux.

Il est fortement recommandé d’avoir visionné l’intégralité de la partie 4 de La Casa de Papel avant de lire cette analyse, qui contient des spoilers.

À voir aussi sur Konbini

Mise en ligne le vendredi 3 avril, la nouvelle saison du hit espagnol n’a clairement pas fait l’unanimité. Si la série reste soutenue par une fanbase importante et fidèle, beaucoup (nous en faisons partie) ont pointé du doigt un syndrome Prison Break de plus en plus évident. Phénomènes planétaires lors de leur lancement, les deux séries reposent sur un concept de huis clos et de plans brillants à mettre en œuvre pour réussir “son coup” : dans le premier cas, il s’agissait de s’évader d’une prison, dans le deuxième, de réussir le braquage parfait. Après une première saison haletante et divertissante, les deux shows se sont ironiquement enfermés dans leurs concepts respectifs, condamnés à reproduire le même schéma lors les saisons suivantes. Elles ont logiquement suivi le même chemin : baisse progressive de qualité, puis tentative de relancer l’attention, en mettant en scène l’assassinat sauvage d’un personnage féminin important.

En effet, Prison Break avait “sauté le requin” en tuant le personnage de Sara Tancredi de façon graphique (on découvrait sa tête coupée dans une boîte, façon Seven), avant de le ressusciter. L’expression “jump the shark” désignant ce moment où “la suspension de crédulité” – phénomène par lequel on va juger qu’une série, aussi folle soit-elle, reste crédible à nos yeux – s’évapore pour laisser le/la spectateur·rice déçu·e par un rebondissement absolument incohérent, qui ruine toute envie de poursuivre le visionnage. À quoi bon terminer une histoire quand elle n’a plus ni queue ni tête ? Depuis le début, l’alliance du “film de braquage” au genre du soap télé fait qu’on n’a jamais attendu de La Casa de Papel qu’elle soit extrêmement réaliste. Il n’empêche, cette saison 4 met plus que jamais à l’épreuve notre propension à accepter ou non de croire aux aventures des protagonistes du show, notamment à cause de la mort orchestrée de Nairobi (Alba Flores).

Dès la fin de la partie 3, on avait très peur pour la plus badass de la bande. Piégée par la police, qui lui proposait de regarder son enfant (dont elle avait perdu la garde quelques années plus tôt) à travers une fenêtre de la Banque d’Espagne, elle était gravement blessée, atteinte d’une balle dans la poitrine. La première partie de cette laborieuse saison 4 a été consacrée à une opération risquée, menée par Tokyo, pour lui sauver la vie. Alors en convalescence, Nairobi subira par trois fois les attaques ultraviolentes de Gandia, le chef de la sécurité du gouverneur de la Banque d’Espagne, doublé d’un tueur maniaque et accessoirement misogyne. C’est le principal antagoniste de ces nouveaux épisodes. Dès la première attaque, notre héroïne au caractère bien trempé réussit à lui planter un instrument médical dans le cou.

Les scénaristes ont toutefois décidé de faire de ce Gandia une sorte de flic Terminator qui semble survivre à tout. Tandis que se poursuit le jeu du chat et de la souris entre le reste des braqueur·se·s et notre homme surentraîné, ce dernier réussit une nouvelle fois à prendre Nairobi en otage. Il s’acharne sur elle, la clouant sur une porte et lui tirant dans la main. Seule sa tête dépasse de cette porte et pendant tout un épisode, nous nous trouvons dans l’obligation de la voir en position de martyre. Finalement, alors que les négociations touchent à leur fin et que Gandia est censé relâcher son otage, il lui décoche une balle en pleine tête, en lui assénant un cruel :“Bâtarde, je t’avais dit que je te tuerai”.

© Netflix

Le supplice de Nairobi

Nairobi étant l’un des personnages les plus appréciés de la série, sa mort n’est évidemment pas passée inaperçue, et les fans ont réagi en masse sur Twitter, exprimant leur désarroi. Jurisprudence Game of Thrones oblige, éliminer un personnage très aimé dans une série ne devrait plus être une surprise. Bien sûr, les scénaristes font ce qu’ils veulent, mais au-delà de la tristesse de voir disparaître une protagoniste attachante, on ne peut être qu’énervé·e·s face à la manière dont elle tire sa révérence. Cette grande combattante, une femme racisée (ça ne court pas les rues dans les séries d’action), se trouve alitée et en situation de faiblesse durant toute la partie 4, qu’elle aura passée à se vider de son sang sur une table opératoire ou à subir les tentatives de meurtre d’un psychopathe. Nairobi méritait mieux. Elle méritait de mourir la tête haute dans une séquence glorieuse, pas de se prendre une balle entre les deux yeux par un antagoniste qu’elle n’aura jamais eu l’occasion de combattre à armes égales.

C’est d’autant plus rageant qu’on tenait là le personnage le plus féministe de la bande, les autres ayant parfois bien besoin qu’on les rappelle à l’ordre sur la question du sexisme, en témoignent Denver qui compare Tokyo à une Maserati ou Marseille qui établit un parallèle gênant entre la perte de sa chienne et celle que le Professeur, persuadé que Raquel est morte, croit subir au début de la saison. On se souvient de ses légendaires prises de bec avec Berlin, de son “Que le matriarcat commence !”, de la façon dont elle gère son affaire dans la chambre forte.

Bien plus que Berlin ou Palerme, tour ou à tour nommés leader du gang, malgré leurs incroyables défaillances, Nairobi s’est révélée une cheffe efficace et très aimée de son équipe à majorité masculine. Assister à la déchéance d’un personnage aussi puissant durant toute une saison relève de la torture scénaristique, voire de la punition façon Daenerys dans GoT. Comment a-t-elle osé être aussi forte et penser qu’elle n’avait pas besoin des hommes pour vivre ? Cette partie 4 est là pour lui rappeler qu’elle ne doit/peut s’en passer, entre son idylle éclair avec Bogota, son soudain désir d’avoir un nouvel enfant (qui l’oblige à solliciter le Professeur pour un don de sperme) et enfin, cette balle dans la tête, directement tirée par un représentant du patriarcat.

© Netflix

Dans les saisons précédentes, La Casa de Papel s’était délestée de plusieurs personnages masculins (Moscou, Oslo, Berlin), mais ces derniers étaient soit secondaires soit pas exactement du côté du bien (n’oublions pas que le frère du Professeur était un fou dangereux) et dans tous les cas, les scénaristes ne se sont pas acharnés sur eux durant toute une saison. Nairobi est la première femme à tomber sur le champ d’honneur alors qu’il y avait encore beaucoup à apprendre de ce personnage, pas seulement ses envies de maternité (par ailleurs, totalement valables).

Des personnages insupportables ou dispensables – comme Arturo, Raquel, Gandia ou Palerme – sont eux, épargnés, alors qu’ils restent narrativement bien moins intéressants à suivre. La façon dont cette saison s’est focalisée sur cette terrible mort à petit feu en dit long sur le manque d’inspiration des scénaristes. Si le Professeur était avec nous, il analysera le fait ainsi : le supplice de Nairobi n’a eu lieu que pour créer un élément de diversion, choquer les fans et détourner notre attention du vrai problème. Le braquage n’a quasiment pas avancé – et cette partie 4 se termine sur un gros cliffhanger –, car Netflix a dans l’idée de surfer encore plusieurs saisons sur La Casa de Papel, que la série ait encore les moyens de nous divertir ou non.

> Restez chez vous et binge-watchez toutes les vidéos de Konbini Biiinge, c’est par ici !