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Il faut qu’on parle de Friends, ses retrouvailles et son manque de diversité

Il faut qu’on parle de Friends, ses retrouvailles et son manque de diversité

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© NBC

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Par Taïna Allen

Publié le

Les retrouvailles de Friends ont soigneusement évité les questions qui fâchent, et c’est un problème.

Friends a effectué son grand retour pour une émission spéciale, Friends: The Reunion, diffusée le 27 mai 2021 sur la plateforme HBO Max, et dans la foulée sur Salto* en France. La réunion des six acteurs était très attendue par les nombreux fans de la série et suscitait l’enthousiasme depuis son annonce il y a plus d’un an. La crise sanitaire a mis un terme aux plans de tournage initiaux, mais les retrouvailles entre Jennifer Aniston, Courteney Cox, Lisa Kudrow, Matt LeBlanc, Matthew Perry et David Schwimmer ont enfin eu lieu sous nos yeux, pour prendre la forme d’un show qui vieillit mal.

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Si l’on prend juste la liste des célébrités invitées, l’épisode ne s’inscrit pas dans l’ère du temps. On retrouve un casting très blanc : David Beckham, Justin Bieber, Reese Witherspoon, Lady Gaga, Cara Delevingne, Kit Harington, Cindy Crawford… Sans compter le rappel des guests présents dans la série, eux aussi blancs. Le groupe coréen BTS et l’artiste d’origine indienne Mindy Kaling seront également de la partie (très brièvement) pour cocher la case diversité, mais au global, on est ramenés au Friends des années 1990 et à son casting blanc et majoritairement hétérosexuel.

Pourtant, la série possède plus de 236 épisodes pour camper un groupe d’amis vivant à New York, l’une des villes les plus cosmopolites qui soit. Une série avec pour toile de fond l’une des villes américaines où toutes les nations se mélangent pouvait clairement faire la différence en termes de représentations. Mais la sitcom nous a offert pendant dix ans une ville entièrement blanche et très hétérosexuelle (à l’exception des personnages secondaires de Susan et Carol dans les premières saisons, qui sont éclipsées par la suite, et de la mère transgenre de Chandler, qui subit la transphobie de son fils). Les personnages racisés présents dans Friends peuvent se compter sur les doigts d’une main et servent uniquement de faire-valoir sentimental aux personnages principaux.

© Warner Bros.

Alors même que la série fut critiquée à l’époque outre-Atlantique pour son manque de personnages racisés, les créateurs Marta Kauffman et David Crane ne se sont jamais remis en question (la scénariste est revenue sur le sujet en 2020) sur ce point pendant la production de la série. En dix ans d’antenne, Aisha Tyler, interprète de Charlie (l’une des petites amies de Ross et de Joey), a été la seule actrice noire de la distribution à avoir eu un rôle récurrent.

L’acteur David Schwimmer, interprète de Ross, avait révélé en janvier 2020 qu’il avait réclamé pendant des années à la production que son personnage ait des petites amies racisées. “J’étais bien conscient du manque de diversité et j’ai fait campagne pendant des années pour que Ross sorte avec des femmes de couleur”, a déclaré l’acteur au journal The Guardian.

Living Single, le “Friends noir” qui existait avant Friends

Il explique également au média britannique : “Peut-être qu’il devrait exister une série Friends avec uniquement des acteurs noirs, ou uniquement des acteurs asiatiques.”

Le hic, c’est qu’une série identique avec des personnages noirs existait déjà. Portée par la pétillante Queen Latifah, Living Single a vu le jour avant Friends. Diffusée sur la Fox, du 22 août 1993 au 1er janvier 1998, la comédie a suivi durant cinq saisons les vies de six amis Afro-Américains à Brooklyn. Friends, elle, est lancée le 22 septembre 1994. Soit un an après.

© Fox

Certains critiques américains ont reproché à la série culte d’être une version blanche de Living Single. Pourtant, à en croire les créateurs, il n’existait pas de sitcom avec un concept tel que Friends. Comprenons plutôt que c’est la première série de ce genre centrée sur un casting blanc. On quitte juste le Brooklyn d’avant gentrification pour le monde blanc et lisse de Manhattan.

Pourtant, comme le rappelle James Corden lors de l’épisode spécial, la série a été diffusée sur plus de 220 territoires, en 18 langues. Friends est devenue la comédie la plus regardée, durant six saisons consécutives, avec 25 millions de téléspectateurs par semaine. 52 millions de personnes étaient devant le finale. Au total, elle a été visionnée plus de cent milliards de fois, toutes les plateformes cumulées. Alors il est assez décevant de découvrir que ces retrouvailles prennent la forme d’un talk-show à la gloire de la sitcom, qui se garde bien d’aborder les sujets qui fâchent. Comme le manque criant d’acteurs racisés, ou les blagues homophobes de Ross et transphobes de Chandler…

Question représentations, ces retrouvailles des Friends n’ont montré que le positif : des fans LGBTQ+ ou racisé·e·s qui clament leur amour pour la série. Et c’est ça qu’on leur reproche. L’émission effleure le sujet du doigt en adoptant une perspective superficielle et trompeuse, qui empêche une réflexion sérieuse sur le sujet de la représentation. Un nouveau rendez-vous manqué, en somme.

*L’émission sera également diffusée par TF1 le 24 juin prochain dans le cadre d’une soirée spéciale Friends.